couverture du rapport Scholastic
Le 15 janvier, Scholastic a publié son rapport intitulé « Kids & Family Reading Report 5th Edition », qui présente les résultats d’une enquête statistique réalisée entre le 29 août et le 10 septembre 2014 sur un échantillon constitué de 2558 parents et enfants (américains):

  • 506 parents d’enfants de 0 à 5 ans
  • 1026 parents d’enfants de 6 à 17 ans, plus un des enfants en question pour chacun des parents interrogés

De nombreux sites ont relayé la publication des résultats de cette étude, avec des titres plus ou moins accrocheurs, issus en réalité de l’introduction de ce rapport, et se contentant d’enfoncer des portes ouvertes telles que:

  • les enfants dont les parents lisent beaucoup ont plus de chances de devenir aussi des lecteurs assidus (sans blague!)
  • un enfant à qui on a lu des livres à haute voix dans son enfance a plus de chances de développer son goût pour la lecture (tiens?)
  • et les enfants liraient plus s’ils trouvaient plus de livres qui leur plaisent (ça, on en reparle plus bas).

Nous avons voulu en savoir plus et nous sommes donc plongés dans cet intéressant rapport. Nous ne vous ferons pas ici un rapport exhaustif de ses 104 pages, mais voici juste quelques points qui nous ont paru intéressants, au-delà des slogans bateaux, et sous l’angle (forcément très personnel et très subjectif) de l’éditeur numérique indépendant…

1. Intérêt des ebooks pour la tranche d’âge 12-17 ans

Au bas de la p.5, on nous annonce comme une des découvertes clés de l’étude que:

« Additional factors that predict children ages 12–17 will be frequent readers include reading a book of choice independently in school, ereading experiences, a large home library, having been told their reading level and having parents involved in their reading habits. (Page 25) »

En gros, parmi les facteurs favorables au goût de la lecture chez les jeunes de 12 à 17 ans, il y aurait « l’expérience numérique ». Tiens, tiens, ça nous intéresse. Nous nous rendons donc à la page 25:

enquête Scholastic graphe 1
Rapport Scholastic p.25

Bon, soyons honnêtes, parmi tous les facteurs présentés sur cette page, l’accès aux livres numériques est celui qui ressort le moins nettement… mais enfin, il y est, ça fait plaisir à l’éditeur numérique que nous sommes!

Malins, les parents américains ont compris (et accepté!) cette tendance, et, s’ils veulent favoriser le goût de la lecture chez leurs ados, ils favorisent leur accès aux ebooks, comme le montre le graphe donné à la page 63:

enquête Scholastic graphe 2
Rapport Scholastic – p.63

Trop bien, les Américains 🙂

Pourtant, ce résultat est immédiatement nuancé, à la page 69, où on nous montre que, pour l’ensemble des enfants interrogés, soit des enfants de 6 à 17 ans, la tendance est à préférer les livres papiers aux ebooks pour ceux qui ont déjà eu l’occasion de lire un ebook, cette tendance s’étant accentuée en 2014 par rapport aux chiffres équivalents de 2012.

enquête Scholastic graphe 4
Résultats Scholastic p.69

Clairement, c’est dans les tranches d’âge de 6-8 ans et, dans une moindre mesure, de 9-11 ans que cette tendance est majoritaire. Quelle est l’influence du jugement des parents sur les enfants de cette tranche d’âge? Nulle, nous assure-t-on dans la description de la méthodologie d’étude, qui nous explique que:

« Parents were invited to help young children read the survey but were asked to allow children to independently answer all questions.
At the end of the survey, children were asked to record the degree to which a parent helped them with the survey. Consistent with prior research, an analysis comparing the responses of children with and without parental involvement showed no significant differences. »

Soit, en gros, les parents étaient invités à aider les jeunes enfants à lire le questionnaire, mais sans les influencer dans leurs réponses. Les enfants ont indiqué à la fin du questionnaire dans quelle mesure leurs parents les ont aidés, et des résultats comparables ont été obtenus entre les enfants assistés par leurs parents et ceux qui ont répondu sans aide. Mais quelle est la part de jugement personnel d’un enfant de 6 à 8 ans?

La plupart des sites francophones qui ont rendu compte de cette étude n’ont retenu que ce dernier résultat: les enfants plébiscitent le livre papier. Amusante interprétation, si on considère que, de l’aveu même des résultats donnés ci-dessus, ils ne sont, dans les tranches d’âge de 12-14 et 15-17 ans, que respectivement 49 et 48% à préférer le livre papier, soit moins de la moitié dans les tranches d’âge les moins suspectes d’influences parentales… Un plébiscite de pays non démocratique, non?

A moins que cette affirmation ne soit basée sur la question 15, dont les résultats détaillés sont donnés à la page 96 du rapport? Cette question est libellée de la manière suivante:

« I’ll always want to read books printed on paper even though there are ebooks available »

ce que nous traduisons, en gros, par: j’aurai toujours envie de lire des livres papiers, même si des ebooks sont à ma disposition, proposition avec laquelle 65% des enfants, toutes tranches d’âge confondues, sont d’accord. Euh… nous aussi, nous continuons à lire des livres papier, même si nous sommes persuadés de l’intérêt des ebooks. Les deux sont complémentaires, il nous semble que les enfants interrogés pour cette étude l’ont compris eux aussi. Rien de plus, rien de moins.

2. Lecture d’ebooks à l’école

Le rêve, pour l’éditeur numérique que nous sommes, continue à la page 66, qui montre les pourcentages d’enfants ayant déjà lu un ebook à l’école:

enquête Scholastic graphe 3
Rapport Scholastic p.66

De 12% (1 sur 8) des enfants interrogés en 2012, ce pourcentage est passé à 21% (1 sur 5) en 2014! Là, ce sont nos enfants qui sont jaloux.
En tant qu’éditeur de livres numériques de vulgarisation scientifiques, nous ne pouvons que rêver devant cette introduction du numérique dans les écoles. Vous souvenez-vous de vos cours de trigonométrie? Combien de temps vous a-t-il fallu pour comprendre, réellement comprendre, le sens physique d’un sinus? Avec un livre numérique, voici à quoi ressemble cet apprentissage:


N’est-ce pas plus parlant?

3. Appareils utilisés par les enfants pour lire des ebooks

Les résultats détaillés donnés en annexe de ce rapport fournissent encore pas mal d’informations plus ou moins intéressantes.
A la page 95, on apprend que, toutes catégories d’âge confondues, 61% des enfants lisent des ebooks, mais, plus intéressant, on a aussi la répartition de ces lectures d’ebooks sur les différents appareils disponibles pour ce faire. Nous avons repris ces pourcentages dans le graphique ci-dessous:

enquête Scholastic appareils de lecture d'ebooks
Résultats partiels de la page 95 du rapport Scholastic

On y découvre entre autres:

  • la prépondérance écrasante des iPads et autres tablettes pour la lecture des ebooks par les enfants et les ados
  • une bonne deuxième place, dans ce classement, pour les appareils destinés exclusivement à la lecture des ebooks (en clair, les Kindle paperwhite, liseuses Kobo et leurs nombreux équivalents américains), toutes catégories confondues sauf chez les 6-8 ans, où cette deuxième place est occupée, très logiquement, par les tablettes dites « éducatives »
  • les 12-14 ans et les 15-17 ans lisent volontiers sur leur laptop ou sur leur smartphone
  • heureusement, tout le monde semble avoir compris que, même si leurs promoteurs mettent parfois en avant la possibilité d’y lire des ebooks comme argument marketing pour donner bonne conscience aux (grands-)parents d’en offrir à leurs (petits-)enfants, les consoles de jeux ne sont pas le support idéal pour cette activité! (Ce qui n’enlève rien à l’intérêt, même éducatif, de certaines d’entre elles, voir par exemple Accro aux jeux vidéos? Ça peut devenir très instructif!.)

Néanmoins, ces résultats nous laissent sur notre faim. La part importante des lectures sur iPads et sur tablettes: s’agit-il de lecture d’ePubs, sur des apps telles qu’iBooks, Kobo, et leurs innombrables (et inégaux) équivalents Android, ou s’agit-il de lectures de livres au format Kindle, grâce aux apps homonymes gracieusement mises à disposition par Amazon? En espérant qu’il ne s’agit pas de PDF, encore abusivement classés dans les ebooks par nombre de lecteurs (voir à ce sujet Quel format?)!
Pour un éditeur numérique, c’est cette information-là qui serait intéressante. En effet, l’ePub offre nettement plus de possibilités que le format (on ne peut plus basique) kindle. Or, vu la part de marché importante d’Amazon et de son format kindle, celui-ci reste un incontournable dans nos processus de développement. Les statistiques présentées, pour le marché américain, par Scholastic, annoncent-elles une nouvelle répartition entre l’ePub et le format kindle? Aucune information là-dessus, dommage. Il est vrai que le catalogue de Scholastic ne déborde pas d’ebooks, c’est à se demander pourquoi ils se sont intéressés à la question…

4. Trois quarts des enfants liraient plus s’ils trouvaient plus de livres à leur goût

On trouve cette affirmation à la page 60 du rapport de Scholastic. Et son corollaire, à la page 91: « Types of books parents need help finding or wish there were more of for their child » ou types de livres que les parents peinent à trouver ou ne trouvent carrément pas. Suit une longue liste de types d’ouvrages classés par genres qui nous paraissent on ne peut mieux représentés dans la littérature jeunesse actuelle…
Ceci pose problème. Avant d’être éditeur numérique, nous sommes nous-mêmes parents, d’enfants ayant les âges ciblés dans cette étude. Nous n’avons jamais eu de problème pour trouver le type d’ouvrages réclamés par les parents et les enfants interrogés pour cette étude. Que ce soit:

  • Sur internet:
    • dès le premier achat d’un livre pour enfant sur amazon, celui-ci nous bombarde, dans les jours, les semaines et les mois qui suivent, de « recommandations » redoutablement bien ciblées d’ouvrages similaires
    • un rapide survol des sites des éditeurs pour enfants donne le tournis devant l’offre de livres aussi variés qu’attrayants actuellement publiés pour séduire cette clientèle spécifique
    • de nombreux sites indépendants proposent le même genre de service, citons par exemple pour les francophones l’excellent site choisirunlivre.com, un exemple parmi d’autres
    • sans parler des nombreux forums thématiques liés aux enfants, à la famille, aux livres, où des échanges entre internautes de même sensibilité offrent quantité d’inspiration dans tous les registres.
  • En librairie: ceux qui n’aiment pas internet s’abritent en général derrière leur excellent libraire qui, lui, leur dispense ses excellents conseils, contrairement aux sites de vente de livres en ligne. Nous aussi nous connaissons d’excellents libraires, qui ne nous ont jamais laissés sans idée de livre à offrir à nos enfants, en fonction de leurs goûts, même lorsque ceux-ci (les goûts de certains de nos enfants, pas les libraires!) étaient… limités!
  • En bibliothèque: enfin, last but not least, les bibliothécaires. A la page 104 du rapport Scholastic, on voit que la bibliothèque est la source d’approvisionnement en livres pour 67% des enfants, toutes tranches d’âge confondues, soit quand même 2 sur 3. Ah, notre bibliothécaire! Que de fois ne nous a-t-il pas sorti LE livre idéal, pour un enfant qui déclarait haut et fort qu’il n’aimait pas lire, et qu’on n’entendait plus de l’après-midi car il était littéralement plongé dans le livre dégotté par le super bibliothécaire! Sans parler du club de lecture pour ados qu’il a organisé, et grâce auquel nos ados ont découvert quantité de livres qu’ils ont adoré!

Alors, mauvaise foi des parents et enfants interrogés? Ou problème dans la chaîne du livre pour enfants? Pour notre part, lors d’une expérience récente dans le domaine du livre pour enfants, nous avions observé ce qui nous était apparu comme un dysfonctionnement dans cette chaîne.
Je programme ma DS avec Petit Computer - couvertureEnthousiastes pour le lancement de ce livre, que nous avions eu beaucoup de plaisir à réaliser, nous nous sommes rapidement heurtés au conservatisme des acteurs du livre pour enfants en Belgique et en France. Très positifs lorsque nous leur exposions le sujet de notre livre, chaque fois nos interlocuteurs se fermaient dès que nous leur annoncions que ce livre n’était pas vendu en librairie.
Editeur indépendant, c’est le système d’impression à la demande qui nous avait semblé le seul modèle économique viable pour ce livre. L’impression à la demande présente l’immense avantage de ne nécessiter aucune gestion de stock et d’invendus, avec comme revers de la médaille un prix par exemplaire légèrement plus élevé. Ce prix plus élevé rend impossible la vente via les distributeurs en place et les librairies conventionnelles, dont les marges rendraient le livre trop coûteux pour intéresser n’importe quel acheteur.
Mais voilà, un livre pour enfants, s’il n’est pas disponible en librairie, est d’office exclu d’un grand nombre de canaux traditionnels de promotion, qu’il s’agisse de la presse spécialisée pour les enfants, des concours de livres pour enfants ou des listes de livres de lecture proposées par les écoles.
Et le constat est donc: il existe une quantité et une qualité d’ouvrages pour enfants plus vaste que jamais… mais les parents et les enfants se plaignent de ne pas trouver leur bonheur. Et pour cause, puisque leurs sources d’informations habituelles restent figées sur la production de quelques éditeurs historiques, et refusent de considérer les nouveaux canaux de distribution.
Heureusement, pour les livres réellement innovants il reste le bouche à oreille, le contact direct via les réseaux sociaux et autres, mais que tout ceci est laborieux, et manifestement peine à toucher tous les parents et tous les enfants intéressés!

Conclusion

Le rapport d’étude publié le 15 janvier par Scholastic apporte donc d’intéressantes informations à l’éditeur numérique indépendant que nous sommes:

  • Il met en évidence l’intérêt des ados (12-17 ans) pour les ebooks
  • Il montre que l’ebook commence à trouver une place dans certaines écoles
  • Il confirme la prépondérance des iPads et autres tablettes comme support de lecture des ebooks, malheureusement sans préciser le format lu sur ces appareils
  • Il révèle une faille manifeste dans la chaîne du livre pour enfant, les parents et les enfants se plaignant de ne pas trouver des livres qui pourtant existent, et pour lesquels les auteurs et les éditeurs, de leur côté, peinent à trouver les relais nécessaires à leur promotion.

Espérons que les acteurs traditionnels du secteur parviendront à aller au-delà des quelques clichés extraits jusqu’ici de l’introduction de ce rapport, pour en comprendre la portée réelle, ou que les parents et les enfants parviendront à trouver de nouvelles sources d’information pour les aider dans leur recherche de livres… Il y a tellement d’auteurs merveilleux qui écrivent pour cette tranche d’âge!

La publication a un commentaire

  1. Conflit tenace entre ebooks et édition papier. Voyez à ce sujet sur mon blog le conflit Hachette – Amazon. Je crois que les éditeurs « paper only » seront à terme perdants.

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